Écriture entamée le 18 octobre 2020, publication le 27 octobre 2020
(la situation a pas mal évolué entre temps)
Le 13 mars 2020 a été la dernière journée avant le (premier) confinement. Ce soir-là j'étais sur scène avec des copines et copains. Personne dans mon entourage proche ou lointain ne savait vraiment à quoi s'attendre. Nous étions en quelque sorte unis dans notre ignorance.
Depuis, nos vies ont été plus ou moins chamboulées et les décomptes quotidiens passent et se ressemblent. Une certaine lassitude s'est installée autour du sujet, sauf quand il nous affecte très personnellement, nous empêchant de voir nos proches, d'exercer notre métier ou de nous adonner à notre loisir préféré.
Nous vaquons donc à nos occupations, vaille que vaille, car "il faut bien vivre" et "on ne sait pas combien de temps ça va encore durer". Seulement voilà, alors que le reconfinement est dans tous les esprits depuis plusieurs semaines, nous sommes parfois surpris par nos proches. Peut-être nous semblent-ils trop prudents ou à l'inverse trop insouciants? Peut-être ne savons-nous pas s'il est raisonnable de les ajouter à notre bulle -pas parce qu'on ne les aimerait pas assez mais- parce qu'on croit observer un certain décalage dans nos approches face à ce virus.
Faut-il rendre visite à papy ce weekend? Est-ce vraiment une bonne idée d'inviter Pascal et Aurélie qui affichent clairement des discours inquiétants sur les masques sur les réseaux sociaux ces dernières semaines? Est-ce qu'Alain n'a pas un peu vite invoqué l'excuse du virus parce qu'en fait il ne voulait pas venir hier soir?
La plupart du temps ces arbitrages se font assez facilement voir carrément inconsciemment. Restent les autres cas qui génèrent de l'incompréhension qui a son tour provoque parfois de la déception ou de l'énervement.
Et ça se comprend. Nous avons traversé ces premiers mois installés dans des conditions matérielles très différentes : avec ou sans enfants, télétravail autorisé ou non, précarité ou sécurité professionnelle, conditions sanitaires professionnelles variables, décès/cas graves/cas bénins dans nos entourages ou pas, espace de vie permettant un confinement serein ou tendu, bulle célibataire/familiale/de collocation, etc.
Mais ça n'est pas tout. Dans l'océan d'informations -tantôt contradictoires tantôt paradoxales- dans lequel nous baignons, nous avons tant bien que mal forgé nos doutes et nos certitudes de façon très personnelle. Certains n'ayant d'autre choix que de suivre les évolutions sanitaires déterminant leur futur professionnel, d'autres se permettant une certaine distance avec l'information la jugeant anxiogène, d'autres encore n'ayant simplement pas les privilèges nécessaires à se forger une opinion solide. Enfin, notre défiance a priori dans les figures d'autorité (annonces gouvernementales, épidémiologistes, influenceurs médiatiques, ...) joue ici un rôle important.
Résultat, sept mois après l'entrée en confinement, l'hypothèse que la distanciation, que nous souhaitions physique, soit devenue sociale ne me semble plus absurde et je fais le pari que ce malaise ira croissant si nous n'y prenons pas garde.
C'est la raison de ce billet de blog: j'aimerais prendre le temps de dire à mes proches où j'en suis. Je crois que nous naviguons à tâtons et que nous ne prenons pas assez le temps de parler de ce sujet qui est pourtant devenu omniprésent dans nos vies. Je crois sincèrement que nous nous heurtons la plupart du temps par maladresse car nous ne sommes pas en mesure de deviner ce que nos interlocuteurs vivent ou ont vécu.
J'essaye donc une méthode parfaitement subjective pour brosser mon état des lieux, je propose de parcourir les tableaux suivants pour mieux nous comprendre : privilèges, attachement à la normalité, posture de prudence et degré de confiance en l'autorité.
J'espère sincèrement que si nous savons à qui nous parlons nous pourrons continuer à communiquer intelligemment et sereinement. Le but étant qu'in fine nous nous retrouvions avec autant de plaisir au terme de cette épreuve sociale. La démarche est peut-être naïve mais je n'ai rien de mieux à proposer. Veuillez donc pardonner l'emploi de la première personne du singulier dans les prochains chapitres dans des proportions jamais atteintes précédemment.
"Check tes privilèges"
Professionnellement d'abord. Je suis en télétravail depuis mars et mon emploi n'est pas menacé à court terme.
Socialement ensuite. Je suis un homme, sans enfant. Je vis normalement seul en zone urbaine très densément peuplée mais j'ai été accueilli dans une habitation modeste (mais agréable à vivre) par ma conjointe avec qui j'ai une relation heureuse.
Enfin, sanitairement. J'ai 36 ans, je suis plutôt en bonne santé et la plupart de mes proches aussi à quelques exceptions près. Seule une connaissance dans mon entourage est décédée (à 40 ans) en mars de cette saloperie de virus.
Pourquoi évoquer mes privilèges? Car pour d'autres cette crise n'a pas le même impact et je ne voudrais pas prétendre tenir un discours universel, bien au contraire. À l'inverse, peut-être partages-tu certains de mes privilèges? auquel cas ma démarche te paraitra peut-être utile.
L'envie de retourner à la normalitéÇa peut sembler anodin, voire hors-sujet, mais à bien y réfléchir je crois qu'il est important de le préciser : je n'aimais profondément pas le "monde d'avant". Comme beaucoup de tribunes l'ont écrit avant moi, j'appelais de mes vœux le "monde d'après" depuis une bonne dizaine d'années avant que débarque le virus. L'aboutissement de cette remise en question du monde avait fini par prendre la forme d'un spectacle dédié aux questions du capitalisme, de l'écologie et de l'engagement en général. Je commençais à peine à le jouer lorsque la crise sanitaire a débarqué. Je ne l'ai pas joué depuis le 11 mars et ça commence vraiment à "faire long" (même si je n'en dépend pas financièrement).
Pour moi cette crise est une zoonose (1) c'est à dire que sa cause première est à imputer à l'expansion de notre espèce qui ne laisse pas de place aux autres. C'est à mon sens une des multiples manifestation de l'agonie du "monde d'avant". Comme je le lisais récemment :
"Ce qui nous attend derrière la crise du Covid, c'est la crise climatique, la proposition de simplement ne pas s'arrêter, ne pas se contraindre et ne rien changer est tout simplement inaudible. On ne reviendra pas au monde d'avant et il va nous falloir vivre avec des contraintes alors peut-être une autre urgence se dessine: celle de choisir le monde d'après qu'on veut." (2)
Je n'ai bien entendu pas envie que mon confort disparaisse intégralement. Je ne vois simplement pas trop comment faire autrement que de le partager si je veux que nous aillons tous accès au minimum. Partager c'est un peu renoncer parfois. Durant cette crise-ci "le minimum" c'est une bonne santé pour tous ainsi qu'un système de santé public en bon état. Si on la compare à l'urgence climatique "le minimum" serait : des (variations de) températures viables, des précipitations suffisantes, une rareté des inondations, sécheresses et autres événements catastrophiques.
En résumé, à mes yeux, le "monde d'avant" ne garantit pas les premiers étages de la pyramide de Maslow à un maximum de vivants et cela ne va faire qu'empirer, c'est pourquoi je ne suis pas pressé d'y retourner.
Je prends le temps de rappeler ce positionnement car, dans la longue liste que constituait ma normalité d'avant mars 2020, se trouvaient aussi un grand nombre d'activités qui me comblaient. Cela ne signifie pas que j'y renonce définitivement, j'y renonce car je n'arrive pas à ignorer ce que la crise rend si voyant : un monde malade qui va nous demander de plus en plus de sacrifices.
(1) "Contre les pandémies, l’écologie" Le Monde Diplomatique (mars 2020)
(2) "Sommes-nous en train de sacrifier la vie pour éviter quelques morts?" Le Vif (22/10/2020)
Parano ou inconscient? une question de lecture
S'il existait un "axe de l'insouciance" qui permettrait de classer les personnes, j'estime personnellement être à trois-quarts du côté "prudent" (ou du côté "parano", selon où vous vous situez).
Je conçois que de l'extérieur cette satisfaction pourrait être perçue comme un désintérêt pour ma vie d'avant mais cela n'empêche que je regarde les groupes d'où je me suis retiré avec l'appréhension d'y devenir étranger (et celle d'y voir des contaminations malheureuses subvenir). Je n'ai pas pu célébrer les moments heureux qui étaient prévus cette année et j'ai décliné des repas au restaurant malgré que les consignes alors en vigueur le permettaient (3).
Mais malgré tout la prudence l'emporte, alors pourquoi?
D'abord, surtout depuis que les courbes sont reparties si violemment à la hausse, le problème est l'affaire de tous. L'injonction à aplanir la courbe des admissions hospitalières reste prioritaire, pour les patients actuels et futurs mais aussi pour notre personnel soignant qui a déjà bien souffert et qui recommence à en subir les effets (4). La nature contagieuse de cette maladie lui confère par ailleurs un caractère exponentiel contre-intuitif qui nécessite un effort constant et désagréable de conscientisation.
Ensuite, particulièrement pour les personnes qui n'ont les yeux rivés que sur les courbes d'admissions et de décès, je prends acte du fait que ce virus est très mal connu. Comprenons-nous bien : l'Humain n'aura que rarement acquis autant de connaissance sur un sujet scientifique en un laps de temps si court et je m'en réjouis mais le processus de construction de la connaissance scientifique prend du temps. C'est ce qui fait qu'il est si efficace : il a besoin de formuler des hypothèses, de les tester, de les discuter, de les confronter, de faire deux pas en avant et trois pas en arrière et de -très rarement- faire des bonds en avant spectaculaires. C'est grâce à notre expérience acquise que les patients sont mieux soignés aujourd'hui (5) ce qui explique partiellement le décalage des courbes "cas positifs"/"admissions en USI" (6) et que nous pouvons trier les fausses molécules miracle (7) de celles qui permettront notre salut collectif. Mais malgré tout nous ne comprenons que très partiellement les 6 formes de Covid-19 actuellement recensées (8). Nous ne comprenons pas ses effets à long terme (9)(10)(11) et c'est pourquoi je ne compte pas l'attraper même si j'entends de plus en plus les fatalistes affirmer que "de toutes façons on va tous finir par l'avoir". Nous ne savons toujours pas si une immunité est possible individuellement (et encore moins collectivement) et nous déplorons par ailleurs désormais un premier cas de décès après réinfection (12 à 17).
Au vu de toutes ces informations, je ne pense pas que nous en ayons fini avec ce virus à court voire à moyen terme. Je ne pense pas non plus qu'il soit "comparable à une grippe" ou qu'il "ne concerne que les vieux" ou encore qu'il suffirait de "booster notre système immunitaire" pour s'en prémunir. Voilà pourquoi je pratique la prudence sans pour autant céder à la panique n'en déplaise à ceux ayant choisi une approche plus légère. Ces personnes jugeront mon comportement comme trop prudent, voir paranoïaque. De là où je suis, j'estime à l'inverse qu'elles vivent dans une forme sévère de déni.
À mes yeux c'est ce déni collectif -qui essaye parfois de prendre des fières allures de défense de nos libertés fondamentales- combiné à la gestion calamiteuse de cette crise, qui nous replonge dans une deuxième vague si mal préparés. J'ai particulièrement du mal avec les personnes utilisant les conditions difficiles que les plus précaires parmi nous doivent traverser pour justifier leur propre ras-le-bol : dans un monde injuste où certains ne vont pas pouvoir respecter toutes les règles, quelle est ton excuse à toi ?
(3) "Coronavirus au resto : je suis positive (sans le savoir), je vous contamine ?" RTBF (20/10/2020)
(4) "Les hôpitaux débordés doivent maintenant faire face à l'agressivité de la population: on est passé des applaudissements aux injures" La Dernière Heure (19/10/2020)
(5) "Traitement médicaux du coronavirus: ce qui a changé depuis la première vague" Le Vif (14/10/2020)
(6) "Grâce aux traitements, on envoie moins de patients aux soins intensifs" RTBF (20/10/2020)
(7) "Covid-19 : aucun traitement testé durant les essais cliniques de l’OMS ne fonctionne" (19/10/2020) Journal du Geek
(8) "Il existerait six types de Covid-19" Futura (15/10/2020)"
(9) Trois mois d'errance médicale: quand le coronavirus devient un cauchemar à long terme" Le Vif (29/09/2020)
(10) "COVID LONG" #ApresJ20 - Association Covid Long France
(11) "Le Covid-19 pourrait fragiliser durablement le cœur" - Le Courrier International (08/10/2020)
(12) "Covid-19 : premier cas mondial d'une mort après réinfection" Futura (15/10/2020)
(13) "Immunité collective, confinement, masques: ce qu'on sait vraiment du coronavirus et qui n'est plus contesté, côté scientifique" RTBF (15/10/2020)
(14) "Coronavirus: les cas de réinfections en quatre questions" Le Soir (13/10/2020)
(15) "Le Covid-19 pourrait entraîner une baisse du QI et des troubles cognitifs" Sciences et Avenir (28/10/2020)
(16) "Some Covid Survivors Have Antibodies That Attack the Body, not Virus" The New York Times (2/11/2020)
(17) "Les personnes asymptomatiques perdent plus rapidement leurs anticorps" Le Vif (27/10/2020)
Degré de confiance en l'autorité
Commençons par tempérer : par définition, ce gouvernement et celui temporaire avant lui récolteront toutes les critiques entre ceux qui auraient voulu plus de sécurité et ceux qui auraient préféré plus de liberté. Pour rien au monde je ne souhaiterais être à leur place.
"Cette pandémie, nous l’avons dit, fait ré-émerger des questions existentielles, des choix de société fondamentaux posés par le maintien du capitalisme. Quand le gouvernement dit qu’il faut limiter les contacts sociaux au strict « nécessaire », posons la question : mais qu’est-ce qui est « nécessaire » ? C’est le même débat concernant les activités « essentielles » : la production d’armes continue vaille que vaille en pleine pandémie ! L’irrationalité capitaliste va jusqu’à pousser dans certains pays à des absurdités effrayantes du type des « croisières en paquebot sur place » ou des vols d’avion en boucle dans le ciel (!) vers la ville de départ. Dans ce contexte, les choix politiques des gouvernements Wilmès et Vivaldi ont donc en bonne partie maintenu deux des vecteurs des contaminations : le système scolaire, de plus en plus réduit à une garderie malgré les efforts immenses des enseignant.e.s et surtout l’entreprise, monstre sacré du capital." La gauche Anticapitaliste (22/10/2020)💕
"En effet, cette deuxième vague est le résultat de notre échec à toutes et tous, mais pas dans les mêmes proportions, pas avec le même impact, pas avec la même responsabilité. Le discours politique général vise aujourd'hui la responsabilisation des individus face à une crise sanitaire que seul le comportement de la population permettrait d'endiguer. En somme, s'il y a une deuxième vague ce serait parce que nous serions une population immature et indisciplinée. Cette vision libérale nous infantilise et surtout, déresponsabilise nos dirigeants : notre gouvernant et nos responsables patronaux, notamment." La Santé en Lutte (22/10/2020)💕
Les raisons d'être en colère ne manquent pas mais par pitié, ne confondons pas la prudence avec la soumission. Ce virus est totalement indifférent à nos états d'âme et à nos rebellions (ou à notre docilité) face à l'autorité. Il n'y a que le respect du désormais célèbre duo "distanciation physique" et "gestes barrières" qui l'affecte, peu importe que ce respect soit voulu ou contraint comme dans le cas d'un confinement.
Gardons aussi en tête que tous ces "régimes d'exception" (cf. terrorisme) ont une fâcheuse tendance à devenir "normaux" une fois installés. Il s'agira de rester vigilants à ne pas laisser cela arriver lorsque la tempête sera maitrisée et à orienter notre colère de façon pertinente le moment venu.
Enfin, je doute que faire pression pour obtenir des miettes, secteur par secteur, nous permettra de sortir grandis de cet épisode. Les impasses du système actuel sont cruelles en temps de crise mais toujours là le reste du temps et il faudra bien un jour affirmer que "nous ne revendiquons rien", soyons sérieux : nous voulons renverser ce système!
En attendant, je crois qu'il est important de rester solidaires des personnes se trouvant en situation de précarité. Je pense en particulier aux personnes qui y ont basculé récemment qu'ils soient chômeurs, travailleurs de l'HoReCa ou de la culture. Sans que je puisse prétendre connaitre leur détresse, je continuerai à défendre et à promouvoir, comme je le faisais déjà avant, d'autres modes d'organisation de notre société qui permettent d'éviter les horribles conséquences du "monde d'avant", ses "flux tendus", sa "responsabilité individuelle" et son incapacité à planifier pour "rester compétitif".
(15) "Triste record: la Belgique compte désormais le plus haut taux de contaminations d'Europe !" La DH (27/10/2020)
(16) "Être confiné.e chez soi avec un homme violent est dangereux." Femmes de droit (14/03/2020)
Scénario pour le futur
J'ai laissé tombé l'écriture inclusive à mi-chemin pour faciliter la lecture d'un billet de blog qui se voulait concis à l'origine. Je vous invite à considérer que tous les pronoms et les verbes sont tout à fait accordables au féminin.
Le patriarcat existe, merci de ne pas l'invisibiliser.
Petite vidéo de Cyrus sur ce sujet exactement : https://youtu.be/FZm-pkjHLsc (21 septembre 2021)
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