samedi 10 septembre 2016

De la nécessite du voyage... ou pas.



Disclaimer: le billet qui suit ne représente que mon humeur au moment de le rédiger. Il s'agit d'un coup de gueule en règle. Rien de plus. Je préfère prendre quelques précautions tant j'ai pu remarquer que mon avis est impopulaire auprès de l'écrasante majorité de mon entourage. Si la lecture de certains arguments t'est insupportable, essaye de considérer qu'il s'agit d'un avis caricatural mais argumenté et que la seule façon appropriée d'y répondre est d'amener plus d'arguments contradictoires ou de l'ignorer, simplement.
Je reste sincèrement persuadé que sans controverse il est impossible d'avancer sur certains sujets et que parfois sans pamphlet le conformisme empêche l'émergence d'un débat. Et puis zut, ça équilibre ce que je lis d'habitude. Sur ce, bonne lecture et n'hésite pas à commenter l'article en bas de page de façon sereine et constructive. xXx


ou "Le voyage est la seule chose qu'on achète et qui nous enrichit"

Dans la bouche des aficionados du voyage j'entends souvent les mêmes arguments supposés convaincre du bien-fondé de ce loisir. Car oui je parle ici de voyage comme activité de loisir. Les missions scientifiques, les migrations et les modes de vie nomades sont donc épargnés dans les prochains chapitres. 

Le voyage c'est bon pour les sens, excellent pour le karma, élève nos âmes et ferait le café en plus.. Tu l'as sûrement déjà entendu à défaut de l'avoir déjà dit : "le voyage forme la jeunesse", "c'est une ouverture sur l'Autre, sa culture, sa façon de vivre, une ouverture sur le Monde, dans toute sa diversité", "c'est une chance d'apprécier les merveilles de notre planète", "c'est l'occasion de nous souvenir que notre quotidien n'a rien d'universel". A lire cette liste d'arguments on voyagerait presque par altruisme et ouverture d'esprit.




Internet nous fournit même une version non-argumentée mais toujours mieux marketée : "le voyage est la seule chose qu'on achète et qui nous enrichit". J'ai longtemps machouillé cette jolie phrase toute faite, ça m'a fait les dents. Attention ça coupe. 

Sans même rentrer dans une analyse de fond, j'ai tout de suite envie de questionner ce "only thing" ("seule chose") en proposant d'autres choses qu'on achète et qui nous rendent plus riches : tous les types de savoir (un bouquin, une recette de cuisine, les paroles d'une chanson, etc..), tous les types de rencontres (humaines, vivantes, culturelles, etc.) et -last but not least- les chèques-repas (liste 100% exhaustive, bien entendu). Mais hum. Bref.

Rentrons dans le vif du sujet, veux-tu?

Comme l'explique l'auteur de cette carte blanche le voyage (lointain si possible) est devenu banal pour beaucoup d'entre nous. C'est que, quand on parle de voyage de loisir et malgré tous nos efforts pour ne pas finir sur "la plage remplie de touristes", on parle bien de tourisme. un secteur économique qui comprend l'ensemble des activités liées à la satisfaction et aux déplacements des touristes (DEF). Contrairement à l'auteur qui invite en définitive à reconsidérer le voyage comme un luxe et à lui restituer sa rareté, bien que je sois d'accord avec lui, j'aimerais aller plus loin et t'expliquer pourquoi la plupart des voyages me semblent absurdes, égoïstes et dénotant d'une mauvaise foi crasse.

À ce stade-ci, comme tu es fin, tu me vois déjà venir. Enfonçant des portes ouvertes, vociférant sur les méfaits du Club Med, de la chasse au gibier protégé en Afrique, aux tigres domestiqués en Thaïlande, au tourisme sexuel (et j'en passe) j'ai surtout l'air d'un ado en pleine crise de rébellion. 
Tu me diras qu' "il y a tourisme et tourisme mon coco, j'suis pas un begpacker moi". Et forcément tu feras partie de la catégorie qui te plait puisque tu es conscient de tes actes et que tu es une bonne personne jamais on ne t'y prendrait. Non, comme évoqué plus tôt, toi tu vises l'échange authentique, tu veux fouler la terre qu'aucun Occidental n'a foulé avant toi. Fin de la discussion? Pas si vite.

Un luxe banal?

Je ne vais pas prendre le temps d'argumenter ce qui a déjà été explicité dans la carte blanche mentionnée plus haut. J'aimerais enfoncer le clou : oui, le voyage est un luxe pour au moins 3 raisons.

Premièrement, c'est un luxe à l'échelle temporelle. Avant la révolution du pétrole bon marché il était simplement impensable d'aller passer 2 semaines aux Bahamas ou même en Sicile. Un tel trajet devait être motivé par une bonne raison et impliquait probablement d'y rester un bon moment. A l'échelle de l'histoire de l'humanité c'est donc une pratique extrêmement récente ce qui nous invite spontanément à ne pas la considérer comme ordinaire.

"C'est pas parce que c'est nouveau que c'est un luxe poto!"
 En effet, je souligne ici le caractère exceptionnel (dans le sens "hors de la norme") du voyage hydrocarburé.






Deuxièmement, c'est un luxe à l'échelle sociale. Ce tourisme de masse (oui oui je sais, toi tu ne passes pas par un tour opérateur ce qui fait de facto de toi un explorateur indépendant) n'est accessible qu'à une petite fraction de la population mondiale : la plus riche (nous, pour rappel). Je souligne juste un fait, il existe bien entendu des injustices plus pressantes. Ça n'en demeure pas moins un plaisir égoïste.
Et d'ailleurs ce déséquilibre est le principal garant du succès de l'activité. Gageons que l'absurdité du voyage-à-tout-va serait révélée au grand jour si soudainement les populations de continents laissés en reste jusqu'ici se mettaient soudainement à visiter le reste du monde à grand renfort d'avions, de tour-opérateurs, de visites guidées et de boutiques de souvenirs. Peut-être qu'à force de constater que le tout le monde a la bougeotte se demanderait-on alors enfin ce qui nous pousse à vouloir "visiter" l'autre bout du monde à tout bout de champ? Comme si l'herbe était plus verte ailleurs...

J'ai "eu la chance", comme on dit, de voyager avec mes parents étant plus jeune. En partie pour visiter ma famille (mais pas que). Ici j'entendais les gens fantasmer une sieste sur une plage de sable blanc. Là bas j'entendais les gens rêver de traverser Paris, la ville lumière, en taxi. C'était la première fois que le côté paradoxal de la situation m’apparaissait si clairement.

Cette réalité annule -à mon sens- au passage l'argument déjà entendu du respect que je devrais aux "batailles du passé qui nous ont permis de jouir de telles libertés". Ces batailles ont été "gagnées" en sacrifiant des populations entières. Autrement dit, si nous avons tant c'est parce que d'autres ont si peu. Rien d'honorable ici.

"Ok donc en plus d'être exceptionnelle c'est une activité un peu égoïste et absurde mais... toujours pas un luxe copain!"
T'inquiète, on y arrive.



Enfin, il s'agit d'un super-luxe écologique. En fait non, même le préfixe "super" ne suffit pas. Quand on considère l'activité touristique mondiale c'est carrément de crime écologique qu'on devrait parler. Et là encore l'absurdité de nos mœurs serait plus visible si elles étaient  adoptées par la plupart des humains habitant notre planète. On pensera naturellement aux émissions de GES, à raison. Peut-être ira t'on jusqu'à évoquer la surconsommation d'énergie liée à tous ces déplacements.. dispensables. Mais ce serait oublier la surconsommation simplement liée à l'idée même qu'on se fait de ces voyages et aux comportements qu'elle implique : c'est un tel moment de soulagement de notre quotidien que notre rapport à l'argent s'en trouve parfois altéré. Après tout "c'est pas tous les jours que je pars en vacances à <destination_de_ton_choix>". Nous reviendrons plus tard sur cette étrange mutation qui nous affecte (moi le premier). 
 



Alors oui, l'utilisation déraisonnée de nos ressources naturelles est courante dans nos sociétés modernes. Courante mais pas acceptable. C'est d'abord un pied de nez (restons polis) à toutes les nations du monde n'ayant pas accès à ces ressources (et à celles, encore plus malchanceuses, obligées de s'en défaire au vu du contexte historico-politique). C'est ensuite un gros doigt d'honneur (...) aux générations futures pour qui la fête sera moins folle sans pétrole et à qui nous ne laissons pas même le choix d'une utilisation raisonnée.

Remarque qu'être bien stocké en "pack de six", dans un sightseeing bus ou que tu aies préféré faire du hors piste entre deux glaciers n'a donc aucune importance ici.

C'est un luxe temporel, social et écologique pour des raisons qui dépassent ton existence


Avançons.


Le voyage comme vecteur d'ouverture sur le Monde

Bon là ça va commencer à piquer un peu.
À ce stade-ci plusieurs objections dans le fond de la classe m'obligent à repartir des affirmations que j'entends disons.. souvent. En résumé le voyage permettrait de découvrir d'autres façons de vivre, d'autres paysages, d'autres mentalités. Ces découvertes permettraient donc de prendre du recul sur notre quotidien. Ce dépaysement participerait donc à notre développement personnel
Et que donc que c'est bien !



Procédons dans l'ordre #trolloklm

Premièrement, si tu veux être dépaysé visite déjà ton propre pays avant de traverser les océans. Dans le cas de la Belgique je recommande à tous les wallons (en particulier les non-bilingues FR/NDLS) d'aller s'exiler quelque part en Flandre, on verra si t'es pas dépaysé à devoir chercher tes mots pour acheter une baguette. Quand tu te seras lassé de la Flandre tu pourras t'attaquer aux régions limitrophes des pays voisins.

Ensuite, si ces pseudo-découvertes sont suffisantes à te faire prendre du recul c'est que tu vivais beaucoup trop près de ton volant in the first place. On parle ici en moyenne d'une ou deux semaines consécutives de vacances, rares sont ceux qui dépassent le mois. 
Si en deux semaines ton monde est secoué par la misère ou la beauté qui co-existent sur notre planète c'est parce que le reste de l'année t'avais probablement fermé tes yeux et tes oreilles. On vit à l'époque d'Internet. Tu peux voir une mygale capturer sa proie en slow-motion et en 4K dans le confort de ton salon, pareil pour le siphonophore qui hante les fonds marins, pareil pour les petits Indiens qui barbotent dans leur misère décorée par notre électroménager, probablement acheté un peu trop vite et certainement délaissé beaucoup trop vite. 




Il n'y a rien d'à ce point-là renversant qui nécessitait que ta petite personne déplace son postérieur (et une carlingue de plusieurs tonnes) à travers le globe. Tu veux t'ouvrir au monde? Lis, informe-toi, cultive-toi et écoute les personne qui ont migré ou qui ont voyagé pour de bonnes raisons.

Mais "voir un documentaire et se rendre sur place sont deux choses différentes", n'est-ce pas? Je suis on ne peut plus d'accord : c'est beaucoup plus fun d'observer une aurore boréale en vrai (enfin, je crois)..  Pourtant, en terme de transmission d'informations transcendantales, un documentaire sera probablement plus efficace qu'un voyage touristique puisqu'il apportera parfois en plus de l'information documentée un regard scientifique, politique et/ou artistique. 

D'autre part, affirmer que le déplacement est une nécessite à l'ouverture, la vraie (, l'ultime -au dessus c'est le soleil-), me parait pour le moins arrogant quand on garde en tête le côté luxueux de la pratique : nos ancêtres étaient donc de facto tous obtus et fermés? les pays n'ayant pas accès au tourisme de masse sont donc peuplés de gens bornés? notre ouverture au monde dépend donc de notre capacité à dilapider le pétrole dans l'atmosphère?

Bref. Ces questions soulignent à elles seules l'absurdité de l'argumentaire de l'ouverture.

Avançons.

Le tourisme est un marché de la surconsommation...

...et le voyage est devenu un pur produit marketing !
ouais gro'!

Ce marché mondial n'est rendu possible que grâce à l'explosion du moteur (à explosion) et à sa "démocratisation". Ce qui est intéressant c'est d'observer dans quel sens ces mouvements s'opèrent. Premièrement ce sont les riches (ça fait bizarre d'être taxé de riche quand on galère en fin de mois hein?) qui bougent. Forcément vu la répartition actuelle des richesses. Mais ça on l'a déjà dit. 



Secundo, plus intéressant, où va donc le jeune Occidental? On observe récemment une tendance à visiter les pays émergents ou sous-développés. Des pays proposant une expérience de vie effectivement différente. Si on peut supposer une envie sincère de mieux appréhender ces réalités, elles seront au mieux naïves et au pire aggravantes.

Forçons un peu le trait : tu veux découvrir le monde pour le rendre meilleur pas par plaisir personnel. Cette quête d'aventure a toujours animé nos ancêtres à la recherche de nouveaux territoires vierges à conquérir, pas vrai? Tu veux que tes actions contribuent à des victoires menant à un monde meilleur!

Et hop, voici le dernier-né d'une industrie florissante (oxymore detected), à la pointe du tourisme solidaire : le volontourisme

On m'a déjà rétorqué que "certaines populations vivent du tourisme, le fait que je les visite leur permet de prospérer/survivre". Et ça c'est pupute comme argument mais de nouveau, un peu de perspective permet de s'en sortir aisément. 
Si vraiment ces populations vivent aujourd'hui du tourisme international c'est que leur écosystème économique a totalement été déformé dans un premier temps. Ça me rappelle le récit de voyage d'une connaissance qui m'expliquait que tout un village avait été préservé pour illustrer les modes de vies traditionnels en réalité disparus. Tous les habitants enfilaient des costumes traditionnels durant la journée pour émerveiller le touriste heureux d'avoir pu goûter à cette transcendante authenticité. Le soir venu ils retournaient à leur misère toute civilisée et moderne. J'y vois en quelque sorte une prolongation impérialiste de notre histoire d'Occidentaux d'une part et d'autre part je me demande ce qui arrivera à ces gens quand les limites naturelles nous empêcheront d'aller les visiter à la folle fréquence actuelle?

En plus de tous les territoires de la planète, c'est notre imaginaire que cette industrie a colonisé. En quelques décennies (siècles si tu veux, c'est pareil) la carte postale affichant sable blanc et cocotiers est passée du statut d'icône à celui de fantasme soi-disant universel.


C'est en ce sens que c'est déculpabilisant : il y a des raisons externes pour que nous soyons tombés dans le panneau. 

Premièrement l'intensification de nos modes de vie nous conduit à travailler en focalisant nos pensées sur le moment de délivrance que seront nos vacances. Il me semble que cette tension libérée explique en partie du moins les changements de comportements souvent observés en vacances : "j'm'emmerde assez toute l'année pour mériter mon tour en jetski au milieu des baleines". 
Si le stress qui se nourrit de nos vies actives et qui explique certains écarts est une réalité dont je suis malheureusement bien conscient, il n'excuse pas pour autant les comportements que tu auras choisis pour te défouler au détriment de ton environnement, des populations exploitées et des futures générations.

J'ai d'autant plus été surpris de découvrir que certaines beaucoup de personnes s'identifiant comme sensibilisées aux causes environnementales ne remettent pas un instant leurs voyages en question (n'envisageant jamais de compenser leur émissions carbone par exemple). C'est dire si le mirage est puissant..



Je ne me suis pas assez penché sur l'histoire du tourisme pour avoir des certitudes mais j'ai l'intuition qu'au début c'était un luxe vécu comme tel. Ensuite, peu à peu, les coûts (économiques hein, les "externalités" socio-environnementales on s'en cogne) ont du baisser et petit à petit ce qui était autrefois un luxe est devenu tout à fait banal (la Lituanie pour 12€, sérieux?!). L'envie de ne pas être exclus du festin fantasme a cependant survécu, manifestement. Pire, elle s'est logée un espace confortable dans notre système de valeurs !

Prenons l'exemple de la phrase désormais banale  "j'ai besoin de plus de soleil".
Comment peut-on justifier une exigence si extravagante? Quelques propositions glanées ça et là :
  • "les heures d'ensoleillement nécessaires à ne pas sombrer dans la déprime"
  • "la vitamine D nécessaire à capter le précieux calcium"
  • "la chaleur dont tu as besoin pour ne pas "avoir froid""
...bullshit !

C'est la sélection naturelle qui nous a permis de prospérer dans les quatre coins du globe. Si tu déprimes pose toi les bonnes questions : c'est pas plutôt parce que notre civilisation ne tourne pas rond des fois? Ou bien tu es spécial? assez spécial pour que tous nos ancêtres n'aient pas été affectés par ces problèmes mais toi oui? On n'a en tout cas jamais autant bouffé d'antidépresseurs dans l'histoire de l'Humanité. Et d'ailleurs.. peu importe si on a battu des records de chaleur 9 fois sur les 16 dernières années en Belgique (dont 2017), tu as besoin de plus de chaleur, merde!

Nous avons oublié notre humilité d'Humains liés à un territoire, tout dilués que nous sommes dans cette grande mondialisation. En grandissant on a pourtant toujours connu la grisaille durant de longs mois suivis de courts étés. On pourrait fantasmer nos identités comme étant de fiers Européens, que la pluie laisse impassible, dont le soleil qui manque à notre ciel est en fait caché au fond de nos cœurs. Mais voilà que soudainement on se met à exiger plus de lumens, plus de degrés, plus d'exotisme (dans la météo, dans la bouffe, dans les paysages).

Au nom de quoi bordel? 
Au nom de cette satanée carte postale te dis-je! 






2 commentaires:

  1. Merci à toi pour le sujet, je me suis pris la tête là-dessus plus d'une fois également

    RépondreSupprimer
  2. Je ne sais pas quoi dire d'autre qu'un MERCI, ça me fait un bien fou de lire que je ne suis pas la seule à penser ça !

    RépondreSupprimer