dimanche 5 septembre 2010

Chronos et évolution


Aujourd'hui je vous propose, en guise d'introduction, un extrait d'article(*) qui a retenu mon attention il y'a quelques temps.

"L'homme contemporain remonte désespérément une pente qui s'éboule. Nous fonçons pour rester à la même place, dans un présent qui fuit sans cesse. Car si nous arrêtons une seconde de courir – après le travail, nos courriels, nos rendez-vous, nos obligations, notre argent, après le temps qui file – nous tombons. Dans le chômage, la pauvreté, l'oubli, la dé-socialisation. 
(...) 
A l'âge de l'accélération, le présent tout entier devient instable, se raccourcit, nous assistons à l'usure et à l'obsolescence rapide des métiers, des technologies, des objets courants, des mariages, des familles, des programmes politiques, des personnes, de l'expérience, des savoir-faire, de la consommation.
Dans la société pré-moderne, avant la grande industrie, le présent reliait au moins trois générations car le monde ne changeait guère entre celui du grand-père et celui du petit-fils, et le premier pouvait encore transmettre son savoir-vivre et ses valeurs au second.
Dans la haute modernité, la première moitié du XXe siècle, il s'est contracté à une seule génération : le grand-père savait que le présent de ses petits-enfants serait différent du sien, il n'avait plus grand-chose à leur apprendre, les nouvelles générations devenaient les vecteurs de l'innovation, c'était leur tâche de créer un nouveau monde, comme en Mai 68 par exemple.
Cependant, dans notre modernité tardive, de nos jours, le monde change plusieurs fois en une seule génération. Le père n'a plus grand-chose à apprendre à ses enfants sur la vie familiale, qui se recompose sans cesse, sur les métiers d'avenir, les nouvelles technologies, mais vous pouvez même entendre des jeunes de 18 ans parler d'"avant" pour évoquer leurs 10 ans, un jeune spécialiste en remontrer à un expert à peine plus âgé que lui sur le 'up to date'. Le présent raccourcit, s'enfuit, et notre sentiment de réalité, d'identité, s'amenuise dans un même mouvement."

URL : http://www.lemonde.fr/societe/article_interactif/2010/08/29/le-monde-magazine-au-secours-tout-va-trop-vite_1403234_3224.html
 (*) Article paru dans Le Monde le 29 août 2010



Je ne sais pas vous, mais je n'y trouve pas grand chose à redire.

Effectivement, là où, avant, il y'avait des changements mineurs entre les générations on trouve désormais des fossés. J'en suis un bon exemple : étant informaticien de formation et surtout passionné par tout ce qui sort des labos j'ai d'abord du constater ce décalage avec "les vieux" puis avec mes parents et désormais je rage contre ma génération si vite dépassée par la nouveauté, si vite résignée à ne pas savoir et ne pas avoir envie de savoir. C'est surtout flagrant dans le domaine des technologies de l'information (et de la communication) où les progrès sont si rapides.
Ils ont pourtant vu naitre Internet au même âge que moi, où est donc passée leur curiosité? Pourquoi ne s'intéressent ils plus aux évolutions du Web 2.0 et aux services qu'il apporte par exemple? Où est passée leur curiosité et leur soif de découvertes? Pourquoi continuent ils à considérer la télévision comme le média de référence? Comment se fait-il qu'ils continuent à payer un abonnement pour qu'on leur serve leur dose de télé-réalité?

La tentation de comparer son propre exemple avec les Autres est grande et parfois je me surprend à me demander "mais enfin non! si j'arrive à me rendre compte de cette situation pourquoi les Autres n'y parviennent ils pas?!" mais c'est momentanément oublier que tous ces Autres ont des connaissances qui me sont totalement étrangères et que d'une façon ou d'une autre, leur équilibre intérieur est tout aussi valable et viable que le mien (oui, je m'éloigne du sujet, hum, revenons à nos trotteuses).

Je n'ai trouvé que deux pistes en guise de réponse à l'interrogation posée par cet article et à l'angoisse qui en découle :
  • "Le temps de lire, comme le temps d'aimer, dilate le temps de vivre" Daniel Pennac (Comme un roman). Bref, ce sont nos actions qui donnent l'importance au temps qui passe.
  • "L'être humain n'a jamais le temps d'être, il n'a jamais le temps que de devenir" Georges Poulet (Mesure de l'instant).  Il faut prendre conscience de notre "infimité".


A la lecture de l'article ci-dessus, je me sens un peu trop intransigeant à l'égard de mes contemporains : peut-être tout ceci va t'il vraiment trop vite? Je veux dire que nous avons peut-être atteint une limite physio/psychologique de l'être Humain? Peut-être ne sommes nous simplement pas capables d'évoluer si vite?
Cette perspective m'attriste mais reste plausible : nous, les Humains, nous sommes affranchis du processus qui nous a façonné au cours des millions d'années nous séparant de l'apparition de LUCA(**), j'ai nommé "la sélection naturelle" (***).

Ce lent concept qui a modelé la Vie durant tout ce temps a été écrasé par des nouvelles lois apparues dans nos sociétés moderne. Là où le plus adapté à son environnement (rapidité, agilité, puissance physique, camouflage, alimentation adaptive, système de défense, organisation sociale...) avait précédemment toutes les chances de s'accoupler et ainsi transmettre ses gènes au futur on ne sait même plus dire quel critère est déterminant aujourd'hui!
Et ce pour plusieurs raisons, en tout cas j'en vois au moins trois : premièrement les rapports phénotypiques tendent à disparaitre au profit de rapports intellectuels, sociaux, économiques ou culturels, deuxièmement car aujourd'hui la réussite individuelle ne passe plus obligatoirement par la procréation et dernièrement car nos progrès en médecine et en biologie perturbent le cours naturel des évènement marquants une vie (insémination in-vitro, détection de maladies du fœtus (bientôt eugénisme), prolongation de la durée de vie...).
En somme, c'est un peu comme si les derniers participants en date d'un grand jeu s'amusaient à tricher et à contourner les règles préexistantes. Attention, je ne dis pas que "c'est mal", je pense simplement qu'il faut au minimum que tous les individus que nous sommes, tous les représentants de notre espèce soient conscients de la situation étrange dans laquelle nous nous trouvons.
La grande faiblesse, si je puis dire, de la théorie de l'évolution c'est qu'elle place la reproduction sur l'avant de la scène en oubliant tout le reste : un individu ayant une longévité post-reproductive supérieure à celle de ses congénères n'a aucune raison d'être naturellement choyé par mère Nature, au pire il sera inadapté à la vie sociale de son espèce du fait de sa différence.

Or, dans notre société où beaucoup attendent la retraite comme étant le départ d'une vie "où on pourra enfin profiter du temps qu'il nous reste à vivre", on peut clairement se demander en quoi cette bougresse d'Évolution peut bien nous servir?!
D'après Darwin, si nous existons c'est que nous sommes adaptés.. on peut alors légitimement se sentir dans une situation absurde et se demander ce qui justifie cette contradiction entre nos but biologiques et nos buts réels? Après tout, qu'est ce qui nous distingue si singulièrement de toutes les autres espèces vivantes?
Certains l'appellent l'âme, d'autres la spiritualité, peu importe, ce qui nous distingue c'est ce qui se passe dans notre cerveau.. Et c'est par notre intellect (terme très général) que nous évoluons désormais (ou du moins qui nous guide), kaboum!

On peut alors se demande si cette légitimité octroyée à mère Nature peut vraiment être remplaçée par nos simples intellects? Les dangers de dérive sont nombreux (je parlais de l'eugénisme il y'a quelques lignes..).
Et puis, c'est angoissant, aucun modèle à suivre si ce n'est celui que nous sommes.. C'est sur un Dieu aurait surement pu apaiser nos angoisses en nous guidant, heureusement il reste Jack Bauer et Chuck Norris...

Bref, le fait est là : l'Ouroboros est brisé, d'un cercle imparfait renvoyant sa fin à son origine nous voici passés à une flèche orientée par sa Volonté vers la constellation Intellect...

    ** : http://fr.wikipedia.org/wiki/LUCA
    *** : Pour être exact, on parle désormais de "théorie synthétique de l'évolution". Je n'aborde pas ici l'ironie qui réside dans le temps qu'il nous aura fallu pour arriver à décrypter un phénomène naturel aussi fondamental et le fait, qu'à peine conceptualisé, on se rend compte qu'il ne s'applique déjà plus à nous!


    2 commentaires:

    1. Une chose: Pennac.. :p

      Je vais donc prendre ma journée pour réfléchir au temps que je m'accorde et ce qui nous constitue de manière commune (mon temps et moi) en lieu et place de l'offrir aux autres...

      Merci ^^

      RépondreSupprimer
    2. Héhé je n'avais pas vu ton commentaire, merci!

      Offrir son temps aux autres est souvent une bonne chose, je pense qu'il faut simplement garder à l'esprit que ça n'est pas une nécessité!

      Je prépare un billet sur un sujet connexe, à bientôt pour la suite ;)

      RépondreSupprimer